Le Saint Graal. Méditation eucharistique
Le Saint Graal. Méditation eucharistique

Le Saint Graal. Méditation eucharistique

David Jones, Flora in Calix, 1950

Puisque les messes sont de retour et que nous pouvons de nouveau participer à l’Eucharistie, je voudrais vous inviter à réfléchir à ce sacrement qui est considéré comme le cœur de la vie chrétienne. Cette méditation porte sur le sens de l’Eucharistie dans la vie d’un croyant et elle nous permettra de mieux comprendre l’importance de ce sacrement et, à travers lui, la place de l’homme dans le plan divin.

Qu’est-ce qui constitue le centre et le fondement de l’Église ? Le centre de l’Église est la confession de la foi en Christ. Le Christ est la Tête de l’Église qui est son Corps. C’est quelque chose que nous entendons depuis le début de notre parcours personnel de chrétien. Mais est-ce que nous le comprenons vraiment, même maintenant que nous nous considérons comme adultes dans la foi ? Peut-être connaissez-vous « La légende du cavalier sans tête », mais en réalité ce n’est que de la science-fiction. Comme l’homme ne peut pas vivre sans la tête, l’Église non plus, ne peut vivre sans le Christ-Tête. Qu’est l’Église sans le Christ ? Des murs vides, quelques hommes habillés « en robes » et un groupe de « grenouilles de bénitier » !

Au centre de l’Église est le mystère du Christ qui reste à jamais présent dans son Église, il reste présent dans sa vie, il reste présent dans ses sacrements, et cette présence est continuellement actualisée par l’Esprit Saint qui est la vie même de l’Église et la Source de sa sanctification. C’est l’Esprit qui fait de nous participants au Corps du Christ, il agit dans la vie de chaque croyant et fait de lui disciple et imitateur du Christ. Le Christ devient chemin qui mène chaque croyant vers la sanctification qui signifie la transfiguration de tout son être en Christ et la vie éternelle. Les sacrements dans l’Église sont des instruments de cette sanctification. Et le sommet de la vie sacramentelle est l’Eucharistie.

David Jones, Chalice with Flowers and Pepperpot (~1954)

Je suppose que vous connaissez tous la légende du Saint Graal, qui, durant les siècles, a excité l’imagination de tant d’écrivains et poussé les aventuriers à partir à la recherche de ce trésor perdu. Le Saint Graal, source de la vie éternelle, calice qui permet à celui qui en boit de vivre éternellement. Cette légende fut fondée sur un apocryphe, dit l’Évangile selon Nicodème, qui raconte que Joseph d’Arimathie, un disciple de Jésus, aurait recueilli les gouttes du sang de Jésus crucifié dans le calice utilisé au moment de la dernière Cène. Ce calice aurait disparu, mais celui qui le trouverait, vivrait éternellement. Ne serait-ce qu’un conte de fée ? Probablement. Mais le symbole en soi est très important, c’est le Sang du Christ qui donne accès à la vie éternelle. Je vous propose une autre version du « Saint Graal, » qui n’est toutefois pas originelle parce que déjà présente dans la pensée de certains écrivains chrétiens.

Notre réflexion commence aussi au moment de la dernière Cène, et plus précisément au moment où Jésus prononce les mots d’institution de l’Eucharistie, et que nous entendons à chaque messe : « Ceci est mon corps livré pour vous… Ceci est mon sang versé pour vous… ». Nous croyons qu’au moment de la consécration, le pain et le vin, les offrandes terrestres, deviennent ce qui n’est pas de cette terre, le Corps et le Sang du Christ, mais toujours sous l’apparence du pain et du vin. Ce Corps et ce Sang, nous les mangeons et ils deviennent notre corps et notre sang. L’Eucharistie est un moyen, à travers lequel, le Christ reste présent dans son Église. Nous voyons donc que le Seigneur n’est pas présent seulement d’une manière spirituelle, mais aussi d’une manière concrète dans l’Eucharistie, et c’est toujours l’Esprit Saint qui actualise cette présence, c’est toujours l’Esprit Saint qui transforme le pain et le vin en Corps et en Sang du Christ.

Quelle est la signification biblique du sang ? Le sang signifie la vie. Selon la tradition biblique, le corps sans le sang n’est plus vivant. Le côté de Jésus crucifié est transpercé avec une lance et son sang coule sur la terre, il rend sa vie terrestre. Mais au moment de la résurrection, il reçoit une vie nouvelle, son corps est transfiguré et devient le corps de Gloire. C’est une nouvelle réalité. En Christ ressuscité la réalité spatio-temporelle et la transcendance, le visible et l’invisible s’unifient. Le corps du Ressuscité reste toujours le « corps de la terre », mais ce corps est transformé, il est désormais le « Corps de Souffle » parce que maintenant, il fait partie de cette nouvelle réalité, réalité qui est l’union entre le monde matériel et la transcendance, le monde spirituel.  Le tombeau vide, lui aussi, n’est plus un lieu de mort, de décomposition du corps mais un symbole de vie, un symbole de cette « nouvelle réalité », la « chambre nuptiale des deux mondes ». C’est la dernière kénose, où le tombeau vide devient la porte d’entrée et la source de vie pour tous et pour tout, parce que « tout est inondé de lumière ». Après la Résurrection, tout va vers l’Ascension et la Pentecôte pour que puisse commencer « la Nouvelle Création ». La résurrection du Christ a manifesté et accompli le dessein de Dieu sur l’homme, l’Esprit a mené à son terme la transfiguration du mode d’être de l’homme dans l’humanité du Seigneur, révélant que la gloire de Dieu, c’est le Vivant. C’est un « sacrement », la création et la réalisation d’une nouvelle réalité entre deux mondes – visible et invisible – à laquelle l’homme et tout l’univers sont appelés, à cette nouvelle existence, la transfiguration et l’ascension pour vivre.

C’est l’Eucharistie qui est un signe visible de cette réalisation. A travers l’Eucharistie, nous recevons les prémices de la vie à venir. L’Eucharistie nous prépare à vivre la vie des fils adoptifs de Dieu, elle nous transfigure petit-à-petit et nous donne déjà ici-bas de goûter à la vie des saints. Il s’agit de l’union avec Dieu ou bien la participation à la vie divine que nous pouvons expérimenter déjà dans cette vie, mais cette expérience n’est qu’un avant-goût de ce que nous allons vivre après la résurrection.

Cependant, il ne faut pas penser que plus souvent nous recevons, plus nous devenons saints. Une telle idée serait non seulement erronée, mais absolument absurde. La vie même d’un chrétien doit être marquée par la suite du Christ. Le chrétien doit être kristoforos, celui qui porte le Christ dans sa vie et par sa vie. Sans cela, même la quotidienne communion serait stérile et ne donnerait aucun fruit.

La dernière chose que je voulais partager avec vous est la dimension cosmique de l’Eucharistie. Le Père Serge Boulgakov, un théologien orthodoxe du XX siècle, jette un regard renouvelé sur le sang du Christ versé sur la croix. Il dit que le sang et l’eau qui ont jailli du coté transpercé du Christ et qui coule sur terre portent aussi en soi un symbolisme très fort. La terre reste marquée par ce sang, elle reste marquée par la vie offerte du Christ, et grâce à ceci, la terre, elle-aussi, devient objet de la résurrection et la transfiguration. Le Christ bénie la terre et toute la création par sa vie, il lui donne aussi sa vie parce qu’il est son Créateur et rédempteur.  Ainsi la création est à considérer comme le lieu de la réalisation des promesses du Salut de Dieu.

En raison de cela, l’être humain n’est pas qu’un être économique, il a surtout une vocation liturgique et doxologique, c’est-à-dire fait pour la gloire de Dieu, pour glorifier Dieu. L’homme est le prêtre de la création : voici pour illustrer cette idée un texte de Léonce de Chypre que chacun d’entre nous pourrait s’approprier quand il commence sa prière :

Par le ciel et la terre et la mer, par le bois et la pierre, par les reliques, les bâtiments d’Église et la Croix, par les anges et les gens, par toute la création visible et invisible, j’offre la vénération et honneur au Créateur, au Maître et au Fabricant de toutes les choses et à lui seul. Car la création ne vénère pas le Fabricant directement et isolément, mais c’est par moi que le ciel déclare la gloire de Dieu, par moi la lune adore Dieu, par moi les étoiles le glorifient, par moi les eaux et les pluies, la rosée et toute la création, vénèrent Dieu et lui donnent la gloire.

En l’humain se récapitule toute la création, c’est par la sanctification de l’humain que toute la création sera sanctifiée. Créé à l’image de Dieu l’être humain est aussi une image de l’Univers. Il est le point central de l’Univers, un microcosme à l’intérieur de l’univers, et de ce fait, en tant qu’image de Dieu, il le prêtre de la création et pour la création.

Que pouvons-nous faire avec tout cela ? Nous ne pouvons que rendre gloire à Dieu et le remercier.  Eukharistia en grec signifie l’action de grâce. Dans la tradition byzantine, il y a deux auteurs qui parlent du rapport entre la prière et l’Eucharistie. Ce sont deux frères grecs Callistos et Ignatios Xanthopoulos. Ce qui est très étonnant dans leurs textes, c’est qu’ils inscrivent la prière dans la liste des sacrements de l’Église et disent que la prière se trouve entre le Baptême et l’Eucharistie. Pourquoi ? Ils argumentent de la manière suivante : le Baptême nous ouvre le chemin vers la connaissance du Christ, son action salvatrice, sa présence dans l’Église et, à travers elle, dans l’Univers entier. La prière nous laisse garder son souvenir et l’actualiser à chaque instant. Pendant la célébration eucharistique, tous les croyants lui rendent grâce pour ce qu’Il est et pour tous ce qu’il a fait pour eux. Dans l’Eucharistie, Dieu vient à notre rencontre, nous écoutons sa Parole qui est proclamée et prêchée, et nous l’accueillons sous l’apparence du pain et du vin.


fr. Jokūbas-Marija Goštautas o.p.

TABELLA