Peut-on encore reposer en paix ?
Peut-on encore reposer en paix ?

Peut-on encore reposer en paix ?



Tous les jours, à vêpres, nous prions pour le salut des personnes décédées durant la journée et pour le repos de leurs âmes. C’est une prière qui a beaucoup de sens à mes yeux : qui n’a jamais rêvé d’être ENFIN tranquille, une bonne fois pour toute ? Être auprès du Seigneur, dans sa gloire, loin des préoccupations terrestres, attendant patiemment la parousie et la résurrection des corps, voilà le véritable paradis. Et il se trouve que l’Église a toujours accordé une place importante aux morts : cérémonies, bénédictions… avec une liturgie des funérailles riche et fournie pour donner au défunt un repos assuré et permettre aux familles de faire leur deuil. Or voilà ce qui m’a poussé à écrire cet article : je crains que nous ne puissions bientôt plus reposer en paix.

Voilà une petite liste d’aberrations croisées dans le fabuleux monde d’internet :

– L’entreprise américaine Artful Ashes, basée à Seattle : des artisans verriers soufflent les cendres de votre défunt dans une oeuvre d’art colorée que l’on dispose sur une lampe pour l’illuminer.

– La société anglaise AndVinyly, fondée par Jason Leach, transforme les cendres de vos proches décédés en vinyle qui contient un enregistrement de leur voix.

Mount Pleasant Group vous propose de vous faire tatouer avec une encre mélangée aux cendres du défunt qui vous est cher.

– Le clou du spectacle, nous le devons à un designer Mark Sturkenboom, pour la modique somme de 9800 dollars : un sextoy en verre soufflé qui contient les cendres de votre partenaire.


Au-delà de ces exemples bien réels mais qui prêtent au rire ou à la consternation, je pense que nous avons là l’illustration que notre monde sécularisé a un problème avec la mort. Jusque dans sa propre mort et dans la mort de ses proches, on souhaite tout maîtriser. Dans une société où, pourtant, nous avons de plus en plus l’habitude de tout jeter, nous voyons que nous avons bien du mal à nous séparer.

Mais au fait, pourquoi nous enterrons nos morts ? C’est ce que nous explique P. Serge-Thomas Bonino, dominicain, secrétaire de la Commission théologique internationale : « En ensevelissant les corps des fidèles, l’Église confirme la foi en la résurrection de la chair et veut mettre l’accent sur la grande dignité du corps humain, en tant que partie intégrante de la personne, dont le corps partage l’histoire. »

Si l’Église catholique tolère la crémation depuis 1963, elle refuse toute conservation des cendres « dans des souvenirs, des bijoux ou d’autres objets. »* « Pour éviter tout malentendu de type panthéiste, naturaliste ou nihiliste », l’Église est aussi en désaccord avec la dispersion des cendres qui « procède souvent de l’idée que, avec la mort, l’homme entier est anéanti ou arrive à la fusion avec la nature ».

Il est juste de se soucier des confusions : les différents sites de pompes funèbres en présentent, comme ici chez Roc-Eclerc dans la rubrique Crémation : « Un réel désir de simplicité (…) et une volonté de communion avec la nature (dans le cadre de la dispersion des cendres par exemple) se retrouvent parmi les raisons pour lesquelles ce choix est adopté ». Ou bien encore sur des sites d’urnes funéraires : « Porter un bijou cinéraire est une manière personnelle et simple pour commémorer un être cher. Nous avons constaté que de plus en plus de personnes s’orientent vers le bijou cinéraire, et que ce n’est donc pas une mode passagère ».

Au fond, le fait d’être brûlé, dispersé, tatoué, enseveli ou pétrifié dans un vinyle ne change rien à la résurrection des corps. Elle adviendra quoiqu’on fasse de nos os. Mais l’enjeu est bien pour les vivants car ces pratiques interrogent sur la relation au corps et sur la conception de la personne humaine, elles questionnent sur la réalité de notre foi en la résurrection. L’Église l’affirme : le corps n’est pas un objet et la dignité de chaque être humain demeure dans sa vie et dans sa mort.

Peut-on encore reposer en paix ? Il ne s’agit alors plus tant du repos des morts mais de toute personne confrontée à l’épreuve du deuil : pourra-t-elle trouver la consolation, le repos, la paix ? C’est une épreuve pour l’homme depuis la nuit des temps. La différence, c’est qu’avec l’avènement de la Bonne Nouvelle, les règles du jeu ont changé. La tradition byzantine l’incarne au mieux avec un chant spécial qu’elle a gardé : l’aspasmos, le « baiser d’adieu au défunt ». Saint Syméon de Thessalonique l’introduit au XVe siècle : « on chante pour son départ de cette vie et pour sa séparation, mais aussi parce qu’il y a une communion et une réunion. En effet, morts nous ne sommes nullement séparés les uns des autres, car tous nous parcourons le même chemin et nous nous retrouverons dans le même lieu. Nous ne serons jamais séparés, car nous vivons pour le Christ, et maintenant nous sommes unis au Christ, allant vers lui… nous serons tous ensemble dans le Christ  » (De ordine sepulturae).

L’aspasmos est un chant qui invite au départ mais qui témoigne aussi de la permanence d’une communion. Il est bien question d’un adieu, d’une séparation, car ce monde n’est que de passage. Mais il affirme aussi que « morts nous ne sommes nullement séparés les uns des autres », car le vivant chemine tout comme le mort dans l’attente de la réunion ultime, la Jérusalem Céleste.

Frères et sœurs, préservons donc le repos éternel de nos âmes, de notre vivant comme de notre mort. Ayons confiance en Christ qui nous a montré le projet de Dieu pour chacun de nous : la résurrection de nos corps glorifiés.

Fr. Rémi-Michel

* Instruction « Ad resurgendum cum Christo » sur la sépulture des défunts et la conservation des cendres en cas d’incinération, Gerhard Card. Müller, donné à Rome, au siège de la Congrégation pour la doctrine de la foi, le 15 août 2016, Solennité de l’Assomption de la Bienheureuse Vierge Marie.

TABELLA