« Laissant tout, ils le suivirent. »
« Laissant tout, ils le suivirent. »

« Laissant tout, ils le suivirent. »

Parfois, dans la vie religieuse, les planètes s’alignent et tout devient facile.

C’est ce qui s’est passé l’été dernier, pour un projet bien particulier qui nous a occupés, quelques frères, qui nous a enthousiasmés, et qui n’a même pas été compliqué à réaliser, malgré toutes les « circonstances aggravantes » du monde (restrictions sanitaires aux frontières, passe sanitaire, etc.) !

Il s’agissait de partir, les mains libres et le pied léger, pour un grand voyage à travers plusieurs pays. Partir vers le Nord, dans le plus simple appareil (non pas la tenue d’Adam, mais celle de saint Dominique), et marcher, rouler, aller, en inscrivant nos pas dans ceux de notre père saint Dominique, partir de Lyon, « quitter son pays et sa parenté », et trouver en tout pays et en toute rencontre une Patrie plus haute et une Parenté toute céleste.

Vous n’êtes pas sans savoir que, il y a 800 ans, saint Dominique a fait un long voyage (sans avion) en Scandinavie, missionné qu’il était pour réaliser le mariage d’une princesse de ce nord danois, loin de son Ibérie natale. A l’époque, point encore d’ordre des prêcheurs, d’ailleurs. Mais voilà, la princesse était déjà passée de l’autre côté (pas de la mer Baltique : elle était morte), et saint Dominique s’en revenait bredouille. Ce fut donc à son retour que commença de naître l’ordre issu de son intuition brûlante de l’Evangile, d’amour de Dieu et des pécheurs : il fallait se faire mendiant de Dieu, pauvre, sur les routes, et prêcheur, pour proclamer à tous la vraie foi dans le seul Dieu qui sauve.

La Scandinavie, c’est donc toute une histoire, dans l’Ordre. Et plus particulièrement dans la province de France, dont je suis fils, avec mes frères étudiants. En effet, les pays scandinaves et la Finlande en représentent un « vicariat », c’est-à-dire un territoire lui étant intimement associé, historiquement, fraternellement, juridiquement : il en fait partie. Je suis bien placé pour le savoir, moi qui ai eu la joie, il y a deux ans, d’avoir pour frère novice frère Filip Maria, de Suède.

Donc, l’été dernier, lorsque nous avons su qu’il y aurait, à Oslo, le 8 août, un jubilé pour fêter à la fois les 800 ans de la mort de saint Dominique et les cent ans de la fondation dominicaine par des frères français dans la capitale de la Norvège, une étincelle a jailli dans ma tête (cela arrive) : Cet été, nous partirions de Lyon et nous irions jusqu’à Oslo, nous nous jetterions dans la mêlée teutonne et dacique (=scandinave), et nous rêverions à ce projet sans nous paralyser d’emblée par rapport à toutes les interdictions de déplacement liées à la gestion de la pandémie, et nous irions, libres et prêchant, à travers l’Allemagne, le Danemark, la Suède et la Norvège, dans un grand voyage providentiel sur les routes, vers un saint jubilé.

Frère Filip Maria était d’emblée sur-motivé pour concocter un chemin de rêve en Suède : il n’a pas failli, et vaticannews s’en est souvenu.

Et frère Thomas Z., grand baroudeur devant l’Eternel, lorsque je lui ai parlé la première fois, un peu timidement peut-être, de mon idée, m’a tout de suite galvanisé en me disant trouver ce projet « excellent ».

Et voilà-t’y pas, comme on dit dans la Normandie qui m’a donné le jour, qu’on se retrouve à une demi-douzaine de frères, des couvents de Lyon et de Strasbourg, étudiants et prêtre, Français et Danois, Polonais et Suédois, à embrasser ce même dessein.

Et toutes les portes se sont ouvertes.

Partout sur la route, que ce soit en Allemagne le long du Rhin, au Danemark parmi les blés et dans Copenhague, en Suède au milieu des arbres et des vestiges d’une ère médiévale catholique, partout, nous avons rencontré les frères et sœurs que la Providence de Dieu nous avait réservés, les toits et les tables hospitalières qu’elle avait su arranger.

Car nous partions assez légers : pas de tente, juste un sac de couchage, notre habit, un peu de liquide, et notre sourire et notre foi pour ne pas manquer du nécessaire sur la route.

On s’appauvrit, on s’allège de bien des soucis, et l’on part, « prêts à rendre compte de l’espérance qui est la nôtre » à qui voudra s’en informer, sur la route.

Et les frères et sœurs qu’il nous a été donné de rencontrer, et avec qui nous avons partagé moult banquets ou casse-croûtes, c’était parfois saint Dominique qui nous en avait fait le don (couvents de frères à Worms, Cologne, Lund et Oslo ; couvents de sœurs moniales et apostoliques en Suède et Norvège), mais parfois aussi sainte Brigitte (et ses Brigittines, à Vadstena), saint Benoît (et ses Bénédictines, à Omberg), bienheureux Charles de Foucauld (et les Petites sœurs de Jésus à Copenhague). Tous nous ont accueillis comme des frères, mais aussi comme des rois. La joie s’est démultipliée au long du chemin. Et bien sûr, il y a aussi eu toutes celles et ceux que « saint Dieu », le seul Saint, a mis sur notre route, protestants très souvent (magnifique œcuménisme en Suède, ce que nous avons pu voir grâce aux amis de fr.Filip Maria), catholiques parfois (et même « alt-katholische »)!

On sent parfois, parmi ceux que l’on a rencontrés de manière improvisée, qu’il y a une culture de l’hospitalité qui est à ré-apprendre, mais quand celle-ci est libérée, alors quel n’est pas notre plaisir à tous, à partager une même table et un même gîte pour un moment, ou simplement un peu d’eau et un en-cas en bord de voie, quelques paroles édifiantes et curieuses.

Voilà pour ce qui est de la communion des saints telle que nous l’avons vécue, nous pécheurs, à Worms, Coblence, le long du Rhin romantique jusqu’à Bonn et Cologne, dans le Schleswig-Holstein (!), à Puttgarden et Rodby, Lundby, Copenhague, Lund, Malmö, Gräna, Alvastra, Omberg, Skänninge, Linsköping, Karlstatt, Arvika, Skillinfors, et… Oslo, le couronnement du périple en saint Dominique, la fête des fêtes.

Rétrospectivement, je me dis que le banquet des noces de l’Agneau a bien commencé.

Il y a encore du travail pour qu’il y ait le plus de convives possibles à table.

Alors, notre vie bien cachée et enracinée dans le Christ au fond de notre cœur, lançons-nous sur le seul Chemin, à la poursuite de la seule Vérité, et de la seule Vie.

Frère Thomas Carrique o.p.

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