Où sont passés nos harpes?
Où sont passés nos harpes?

Où sont passés nos harpes?

(Witnesses/Prophet David, Nikola Saric)

Sermon 4ème Dimanche de Carême, de Lætare, 2021 (Psaume 136)

PSAUME 136

                    Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions,

nous souvenant de Sion ;

Aux saules des alentours nous avions pendu nos harpes.

                    C’est là que nos vainqueurs nous demandèrent des chansons,

et nos bourreaux, des airs joyeux :

« Chantez-nous, disaient-ils, quelque chant de Sion. »

                    Comment chanterions-nous un chant du Seigneur

sur une terre étrangère ?

Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie !

                    Je veux que ma langue s’attache à mon palais

si je perds ton souvenir,si je n’élève Jérusalem, au sommet de ma joie.

Où sont passés nos harpes, mes frères ? Sont-elles tristement pendus aux saules des alentours ? Ou bien résonnent-elles contre notre poitrine chaque jour que Dieu fait, alors que nous chantons l’office ? Il semble facile de répondre. À chaque Salve, nous répétons  que nous sommes exules, exilés. Nous sommes plus proches du psalmiste sur le bord des fleuves de Babylone que de l’ange musicien dans la Cité céleste.

Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie. Si le peuple d’Israël à Babylone peut se souvenir aisément de la ville de son Dieu, il nous est plus difficile de trouver untel sujet pour notre mémoire. La semaine dernière, le Christ nous disait que l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père.  Alors, où aller ? Où revenir ? Je veux évoquer, mes frères, en toute pudeur, les Jérusalems de nos vies. Si nous sommes ici, c’est bien parce que nous avons déjà connu Sion, par une grâce toute spéciale du Père. Et les jours passants, la routine rongeant notre rivage et effaçant les pas de Dieu sur notre sable, nous suivons notre exil empreint d’un certain fatalisme. Il nous faut marcher dans une vallée de larmes, il nous faut redescendre de la montagne, il nous faut pendre nos harpes. Nous en oublions notre Jérusalem, son Temple où nous avons approché Dieu pour remettre, comme en sacrifice, toute notre vie. Mais un chant parfois, souvent un chant de notre enfance, toujours réveille le souvenir de cette paix béatifique, et ces airs joyeux nous arrachent des larmes.

Que faire ? Patienter fidèlement jusqu’au ciel ? Serrer nos harpes dans la tombe pour chanter, le jour où nous nous relèverons ?

Pour vous répondre, il me faut citer la fin de notre psaume, que la liturgie omet :

Ô Babylone misérable, heureux qui te revaudra les maux que tu nous valus ;

Heureux qui saisira tes enfants, pour les briser contre le roc !

Si nul Babylonien aujourd’hui ne nous empêche de rejoindre la terre de nos Pères, n’oublions pas que le Mal, lui, rôde toujours à la recherche de sa proie. C’est lui qui nous garde loin, parfois trop loin, de la demeure du Père, de la compagnie du Fils, de la joie de l’Esprit. C’est lui qu’il faut briser contre le roc, contre notre rocher, la pierre angulaire, en tournant chaque jour notre visage vers nos Jérusalems, vers nos Sions.

Si nous n’avons plus de vainqueurs, car le Christ a déjà vaincu, nous avons toujours des bourreaux, car le Christ n’est pas encore revenu… Ces bourreaux-mêmes pourtant nous demandent des chants de Sion. Alors saisissons nos harpes, mes frères, chantons, sans peur du combat, en route vers la Pâques.

Fr. Rémi-Michel Marin-Lamellet, o.p.

TABELLA